Les conséquences fiscales de la modification de l’objet social

Toute société doit établir des statuts déterminant notamment  l’objet social[1].  Cette condition de validité du contrat de société est rappelée à l’article L 210-2 du Code de commerce, s’agissant des sociétés commerciales.  

 

En vertu du principe de spécialité, les actes consentis par une société, quelle que soit sa forme, doivent entrer dans le champ de son objet social[2]. Il est donc nécessaire de définir l’objet social avec soin.

 

Lorsque la nouvelle activité de l’entreprise n’entre pas dans le champ de l’objet social fixé dans les statuts, une modification statutaire de l’objet social est nécessaire pour éviter le risque de nullité des actes contraires à l’objet social.

 

Ce risque est particulièrement important dans les sociétés de personnes car le seul fait qu’un acte soit contraire à l’objet social entache celui-ci de nullité[3], sauf s’il a été autorisé à l’unanimité des associés[4].


Inversement, dans les sociétés de capitaux, un acte contraire à l’objet social est en principe valable vis-à-vis des tiers de bonne foi. Mais si le tiers cocontractant avait connaissance du dépassement de l’objet social, l’acte est entaché de nullité[5], sauf s’il a été autorisé à l’unanimité des associés[6].

 

Au plan du droit commun des sociétés,  la modification de l’objet social n’entraîne pas la création d’une personne morale nouvelle, ainsi que le rappellent les dispositions de l’article 1844-3 du Code civil[7].

 

Toutefois, le droit fiscal retient une solution différente. En effet, au plan fiscal, la modification de l’objet social emporte en principe cessation d’entreprise[8].

 

Mais en réalité le changement d'objet social n'emporte pas en lui-même de conséquences fiscales, s’il ne s’accompagne pas d’un changement de l’activité réelle de l’entreprise.

 

En effet, il résulte d'une jurisprudence constante du Conseil d'Etat que c'est l'activité réelle de la société qu'il convient de prendre en considération, indépendamment de savoir si  la société a modifié ou non son objet social[9]. Cette solution est reprise au BOFIP[10].

 

Il convient de rappeler la notion de changement d’activité de l’entreprise (I), avant d’en étudier les conséquences fiscales (II).

I - La notion de changement d’activité

La notion de changement d’activité n’est pas appréhendée de la même manière selon que la société concernée est soumise à l’impôt sur le revenu  (A) ou à l’impôt sur les sociétés (B).

A. Dans les sociétés soumises à l’impôt sur le revenu

S’agissant des sociétés soumises à l’impôt sur le revenu, de plein droit ou sur option[11], l’article 202 ter du CGI ne définit pas la notion de changement d’activité. C’est donc la jurisprudence et la doctrine de l’administration fiscale[12]  qui sont venues préciser le contenu de cette notion.

 

1. Un changement de la nature des opérations ou des biens et services offerts.

 

 Le changement d’activité peut résulter de la modification :

 

 

En conséquence, un accroissement ou une baisse, même importante, du volume des opérations ne constitue pas un changement d’activité.

 

2. Le changement d’activité doit être profond.

 

Le changement d’activité doit par ailleurs avoir un caractère profond pour qu’il entraine la cessation d’entreprise au sens de l’article 202 ter du CGI.

 

De sorte que l’adjonction d’une ou plusieurs activités nouvelles à celle initialement exercée par une entreprise, ne suffit pas en soi à entrainer la cessation de l’entreprise, dès lors que l’activité de la société n’a pas été modifiée en profondeur[14].  

 

De même, le développement ou l’abandon d’un secteur qui a une importance moindre par rapport aux autres secteurs d’activité de l’entreprise, ne caractérise pas un changement d’activité.

B. Dans les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés

Contrairement aux dispositions prévues  pour les sociétés soumises à l’impôt sur le revenu, les dispositions de l’article 221, 5., b) du CGI  applicables aux sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés de plein droit ou sur option[15], définissent la notion de changement d’activité selon des critères précis.

 

Aux termes de ces dispositions, le changement d’activité se produit soit par adjonction d’activité (1) soit par abandon ou transfert d’activité (2), selon les critères ci-après examinés.

 

1. Adjonction d’activité.

 

Pour que l’adjonction d’une activité caractérise un changement de l’activité réelle de l’entreprise, il faut qu’au titre de l’exercice de sa survenance ou de l’exercice suivant, il existe une augmentation de plus de 50% par rapport à l’exercice précédant celui de l’adjonction :

 

 

2. Abandon ou transfert d’activité.

 

Pour que l’abandon ou le transfert, même partiel, d’une activité caractérise un changement de l’activité réelle de l’entreprise, il faut qu’au titre de l’exercice de sa survenance ou de l’exercice suivant, il existe une diminution de plus de 50% par rapport à l’exercice précédant celui de l’abandon ou du transfert :

 

II. Conséquences fiscales  de la cessation d’entreprise

A. L’imposition immédiate des bénéfices et plus-values non encore imposés[16]

1. Principe.

 

Les conséquences fiscales du changement d’activité d’une société, qu’elle soit soumise à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés, sont celles applicables en matière de cessation d’entreprise[17].

 

Aux termes des dispositions de l’article 201 du CGI, la cessation d’entreprise a pour effet d’entrainer l’imposition immédiate :

 

 

Par ailleurs, la cessation d’entreprise entraine l’impossibilité de reporter les déficits de l’ancienne exploitation sur les résultats de la nouvelle activité.

 

2. Tempérament conditionnel.

 

Le principe d’imposition immédiate est tempéré par le deuxième alinéa de l’article 202 ter du CGI concernant les sociétés soumises à l’impôt sur le revenu.

 

En effet, cet alinéa prévoit que les bénéfices en sursis d’imposition, les plus-values latentes incluses dans l’actif social et les profits non encore imposés sur les stocks, ne font pas l’objet d’une imposition immédiate, dès lors que les conditions suivantes sont réunies :

 

 

Ce tempérament est repris à l’article 221 bis du CGI concernant les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés, lorsque celles-ci cessent d'être soumises à l'impôt sur les sociétés au taux normal. Toutefois, il est ici précisé que les provisions réglementées devront en tout état de cause être réintégrées en vue de leur imposition immédiate[18]

Ainsi, ne sont pas susceptibles de bénéficier du tempérament conditionnel :


 au titre de l’alinéa 2 de l’article 202 ter du CGI : une société ayant opté pour le régime des sociétés de personnes dont l’activité devient civile[19].
 au titre de l’alinéa 2 de l’article 221 bis du CGI[20]

 

B. Obligations déclaratives[21]

 

 Les entreprises affectées par un changement d’activité sont soumises aux obligations déclaratives prévues en matière de cessation d’entreprise.  Elles doivent donc souscrire une déclaration de résultats dans un délai de 60 jours à compter de l’événement ayant provoqué le changement d’activité. Cette déclaration permettra de déterminer l’imposition des bénéfices d’exploitation faisant l’objet de l’imposition immédiate.

 

 Les sociétés de personnes seront tenues en outre, dans ce même délai, de produire le bilan d'ouverture du premier exercice au titre duquel le changement d’activité a pris effet[22].

 


[1] Article 1835 du Code civil. 

[2]  L'article 1145 alinéa 2 du Code civil, modifié par l'article 2 de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 est venu limiter la capacité des personnes morales aux "actes utiles à la réalisation de leur objet". Cette réforme a été controversée en doctrine dans la mesure où, en particulier  pour les sociétés de personnes, ce texte était susceptible de remettre en cause la validité des actes passés par une société ne concourant pas à la réalisation de l'objet social, même décidés à l'unanimité des associés. Cette insécurité juridique a été levée par le législateur par l'article 6 de la loi n°2018-287 du 20 avril 2018, dont les dispositions entreront en vigueur à compter du 1er octobre 2018. Aux termes de cette dernière réforme, l'article 1445 alinéa 2 est rédigé de manière neutre comme suit :" La capacité des personnes morales est limitée par les règles applicables à chacune d'entre elles."

[3] S'agissant des sociétés en nom collectif, l'article L221-5 du Code de commerce dispose que "dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société par les actes entrant dans l'objet social ». La même règle est édictée pour les SCS à l'article L222-2 du Code de commerce et à l’article 1849, alinéa 1er du Code civil pour les sociétés civiles.

[4] Cf. articles 1852 du Code civil (sociétés civiles), L221-6, alinéa 1er du Code de commerce (SNC) et article L222-2 du Code de commerce (SCS).

[5] Ainsi,  concernant les sociétés à responsabilité limitée, l'article L223-18 du Code de commerce dispose que "la société est engagée même par les actes du gérant qui ne relèvent pas de l'objet social, à moins qu'elle ne prouve que le tiers savait que l'acte dépassait cet objet ou qu'il ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve". Pour les sociétés anonymes, les articles L225-35, L225-56 et L225-64 du Code de commerce disposent pareillement concernant respectivement les actes du conseil d'administration, du directeur général et du directoire.  Il en va de même s'agissant des sociétés par actions simplifiées conformément aux dispositions de l'article L227-6 du Code de commerce, mais aussi des sociétés en commandite par actions en vertu des dispositions de l'article L226-7 du Code de commerce

[6] CA, Paris, ch. 15 section B, 30 janvier 1987, JurisData n° 1987-023614.

[7] Cet article précise qu’il n’y a pas non plus création d’une personne morale nouvelle en cas de  transformation régulière de la société en une société d'une autre forme ou de prorogation de la société.

[8] Pour les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés :  cf. article 221, 5., a) du CGI. Pour les sociétés soumises à l’impôt sur le revenu : cf. article 202 ter du CGI renvoyant aux articles 201 et 202 du CGI en matière de cessation d’entreprise.

[9] CE 17 mai 1982 n° 21759 et CE 7 janvier 1985 n° 34936.

[10] Pour les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés : cf. BOI-IS-CESS-10 § 40. Pour les société soumises à l’impôt sur le revenu : cf. BOI-BIC-CESS-10-20-30 , § 80.

[11] SNC, société civile à objet non commercial et non industriel, sociétés de capitaux ayant opté à l’IR, EURL à associé personne physique, AERL, SCP.

[12] BOI-BIC-CESS-10-20-30-20170301, § 90 et 100

[13] CR, 8 févire 1991, n° 75459.

[14] RM Ansquer n° 22596, JO AN du 31 mai 1972, p. 2020.

[15] SA, SCA,  SARL,  EURL à associé personne morale, société civile à objet industriel ou commercial, sociétés étrangères à raison de leurs établissements stables.

[16] BOI-BIC-CESS-30-20-20130710, §210 à 310.

[17] Cf. article 221, 5. du CGI pour les sociétés soumises à l’IS.

[18] Article 221, 5, a), deuxième alinéa du CGI.

[19] AN 1-4-1991 p.1311 n° 36197.

[20] BOI-BIC-CESS-30-20-20130710, § 290.

[21] BOI-BIC-CESS-30-20-20130710, §350.

[22] Article 202 ter, III du CGI.

Conséquences fiscales d'un changement d'objet social d'une société