Taxation en France des trusts

Rappel des circonstances à l'origine de la fiscalisation en France des actifs logés dans un trust étranger

La dissimulation d'actifs dans des trusts révélés au grand jour lors du conflit qui a opposé la veuve de Daniel Wildenstein avec ses deux beaux-fils dans le cadre du règlement en France de la succession du célèbre marchand d'art défunt, a amené le législateur français à mettre en place un cadre d'imposition en France des biens logés dans des trusts constitués à l'étranger.

Inconnus du droit français, la jurisprudence reconnaissait jusqu'alors aux trusts leurs pleins effets en France sans jamais les considérer comme contraire à l'ordre public international français, sauf à écarter leurs effets en cas d'atteinte à la réserve héréditaire d'ordre public en droit interne et en présence d'actifs immobiliers situés en France relevant de la loi successorale française.

En matière fiscale, la jurisprudence avait été amenée à opérer une distinction entre les trusts révocables (1) et irrévocables (2).

(1) Si le constituant conserve la faculté de récupérer ses biens dans son patrimoine personnel, les biens logés dans le trust font partie de la succession du constituant à son décès.

(2) Si au contraire, le constituant ne conserve pas la faculté de récupérer les biens logés dans le trust, les biens sont exclus de la succession du constituant à son décès mais sont taxés au titre d'une donation indirecte au jour de son décès.

Mais cette jurisprudence ne s'appliquait qu'à des trusts qui disparaissaient au décès du constituant (trusts non dénoués). L'apport de la jurisprudence Wildenstein a été de constater l'absence de dispositions législatives permettant de taxer des trusts non  dénoués au décès du constituant.

Réforme fiscale du 29 juillet 2011

La taxation instaurée par l'article 14 de la loi 2011-900 du 29 juillet 2011 vise la détention et et la transmission de biens placés dans un trust mais aussi les revenus qu'il distribue. Des obligations déclaratives spécifiques ont été prévues pour compléter le dispositif d'imposition.

A cet effet, le législateur a défini la notion de trust en droit français afin de permettre sa qualification au regard du droit fiscal français (article 792-O bis du CGI).

Les trusts visés sont ceux constitués par des personnes physiques agissant à des fins patrimoniales ou professionnelles, éventuellement via une personne morale. Cette définition exclut les trusts créés pour gérer des dispositifs d'épargne salariale ou d'actionnariat salarié, les unit trusts répondant à la définition des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), et les trusts assimilés aux unit trusts constitués sur le fondement du droit d'un Etat ou territoire ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale.

1. Principes d'imposition

1.A. Imposition des transmissions jusqu'au démembrement du trust

Conditions de taxation en France des  transmissions à titre gratuit

Sont assujetties aux droits d'enregistrement de mutation à titre gratuit toutes les transmissions à titre gratuit de biens et de droits, y compris de produits capitalisés, réalisées via un trust à partir du 30 juillet 2011, qu'elles puissent être ou non qualifiées de donation ou de succession au regard des règles de droit commun.

Les solutions jurisprudentielles et la doctrine administrative antérieures demeurent applicables aux transmissions à titre gratuit réalisées via un trust et intervenues avant le 30 juillet 2011.       

On notera qu'en matière de trusts non dénoués au décès du constituant, la taxation des actifs logés dans le trust s'opère à chaque décès du constituant, le ou les bénéficiaires initiaux étant réputés à leur tour constituant, au décès du constituant initial et ainsi de suite jusqu'au terme du trust.

Les dispositions de l'article 750 ter du CGI, en matière de territorialité des droits d'enregistrement de mutation à titre gratuit en droit interne, ont été adaptées pour permettre la taxation de tout ou partie des biens, droits et produits détenus par le trust suivant que le constituant et/ou le ou les bénéficiaires avaient ou non leur domicile fiscal en France, dans les conditions prévues à l'article 750 ter précité. Celles-ci doivent être combinées avec les dispositions de la convention fiscale internationale en matière de succession ou de donation du pays concerné, qui a un caractère subsidiaire mais une valeur normative supérieure aux dispositions de droit interne.

Modalités d'imposition

La transmission d'actifs réalisée via un trust est soumise aux règles d'imposition qu'une donation ou une mutation par décès soit constatée ou non au décès du constituant, suivant que le trust est dénoué ou non par son décès.

Les droits d'enregistrement de mutation à titre gratuit  sont calculés sur la valeur vénale nette des biens, droits ou produits capitalisés à la date de la transmission en fonction du lien de parenté existant entre le constituant et le bénéficiaire, dès lors qu'une donation ou une mutation à titre gratuit peut être établie. Dans ce cas, les droits d'enregistrement de mutation à titre gratuit  sont acquittés par le bénéficiaire.

Dans le cas où la donation ou la transmission par décès ne peut pas être établie, la transmission est soumise à des règles spécifiques d'imposition.

Le patrimoine transmis, incluant les produits capitalisés des biens placés dans le trust, est taxé à sa valeur vénale nette à la date de la transmission. Le décès du constituant est le fait générateur des droits d'enregistrement de mutation à titre gratuit, que les biens soient transmis au décès du constituant ou à une date postérieure.

La taxation fiscale s'opère selon les règles de droit commun des impôts successoraux, si une part déterminée est transmise à un bénéficiaire lui-même déterminé. Dans ce cas, les droits d'enregistrement de mutation à titre gratuit  sont acquittés par chaque bénéficiaire.

Un taux de 45% sera appliqué, en cas d'impossibilité de répartir, entre les descendants du constituant, bénéficiaires, une part déterminée leur revenant. Cela vise les situations d'indivision, sans qu'il soit possible d'affecter une quote-part à chacun des indivisaires. Dans ce cas, les droits d'enregistrement de mutation à titre gratuit  sont acquittés par l'administrateur du trust. 

Un taux de 60% sera appliqué, en présence de trusts non dénoués au décès du constituant et sans attribution à des bénéficiaires ou en cas d'impossibilité de répartir une quote-part du patrimoine du trust en présence d'une pluralité de bénéficiaires, autres que les descendants du constituant ou non-exclusivement composés de descendants du constituant. Il en sera de même lorsque l'administrateur du trust est soumis à la loi d'un Etat ou territoire non coopératif, ainsi que dans l'hypothèse où le trust a été constitué après le 11 mai 2011 par une personne fiscalement domiciliée en France, à sa date de constitution. Dans ce cas, les droits d'enregistrement de mutation à titre gratuit  sont acquittés par l'administrateur du trust.

Enfin en cas de dénouement du trust ou de sa dissolution, si les attributaires des biens logés dans celui-ci ne sont pas similaires aux bénéficiaires identifiés lors de la dernière transmission et dans les mêmes proportions, alors une nouvelle taxation aux droits d'enregistrement de mutation à titre gratuit  à titre de donation sera effectuée entre eux.

1.B. Imposition de la détention des actifs

1.B.1 Impôt sur la fortune immobilière

 Conditions de taxation en France

L'article 14 de la loi 2011-900 du 29 juillet 2011 pose un principe général d'imposition à l'impôt sur la fortune, des avoirs logés dans un trust, limités aux seuls actifs immobiliers patrimoniaux depuis le 1er janvier 2018, d'une valeur imposable supérieure à 1 300 000€. Antérieurement à cette dernière date, étaient taxables l'ensemble des biens, droits et valeurs détenus à des fins patrimoniales et d'une valeur imposable identique, depuis le 1er janvier 2012. Les solutions jurisprudentielles et la doctrine administrative en vigueur avant les dispositions de l'article 14 précité, demeurent applicables aux situations antérieures.

Les dispositions de l'article 750 ter du CGI sont également applicables en matière de territorialité de l'IFI. Ainsi, si le constituant ou le bénéficiaire réputé constituant est résident fiscal français, alors l'ensemble de ses actifs immobiliers mondiaux logés dans le trust seront assujettis à l'IFI. Dans le cas contraire, seuls les actifs immobiliers français logés dans le trust seront imposables. Celles-ci doivent être combinées avec les dispositions des conventions internationales en matière d'impôt sur la fortune.

Les trusts irrévocables à caractère caritatif, c’est-à-dire dont les bénéficiaires exclusifs sont des personnes ou des organismes à but d'intérêt général et dont l'administrateur est soumis à la loi d'un Etat ou territoire ayant conclu une convention d'assistance administrative avec la France sont exclus du champ d'application de l'IFI. Il en est de même des trusts "retraite", sous réserve que leur administrateur soit soumis à la loi d'un Etat ou territoire ayant conclu une convention d'assistance administrative avec la France.

Modalités d'imposition

Afin de pouvoir taxer à l'impôt sur la fortune immobilière, la détention des actifs immobiliers placés en trust, la loi prévoit leur rattachement fiscal au patrimoine du constituant, réputé bénéficiaire ou non. Les trusts irrévocables gérés de façon discrétionnaire par leur administrateur, n'échappent pas à l'IFI. Pour échapper à cet impôt, il faut que le constituant rapporte la preuve que les actifs immobiliers ne lui confèrent aucune capacité contributive au regard des avantages directs ou indirects que le constituant peut retirer du trust[1]. Il est liquidé sur la valeur vénale nette des actifs immobiliers patrimoniaux du trust détenus au 1er janvier de chaque année. La taxation s'opère selon les règles de droit commun applicables à l'IFI et l'impôt est dû par le constituant qui doit s'en acquitter par une déclaration spontanée dans les conditions de droit commun. En cas de pluralité de bénéficiaires réputés constituant et en l'absence de répartition expresse de l'actif du trust dans l'acte constitutif ou dans un avenant à celui-ci, l'actif est réputé réparti à parts égales entre eux.

Faute de déclaration par le contribuable pour acquitter régulièrement l'IFI ou de déclaration prévue à l'article 1649 AB du CGI[2] lorsque les actifs immobiliers sont inférieurs au seuil d'imposition de l'IFI, un prélèvement spécifique sur les trusts est applicable (article 990 J du CGI). Toutefois, les trusts exonérés d'IFI (trusts caritatifs et retraites) échappent au prélèvement. Son taux est de 1,5% liquidé sur la valeur vénale des actifs immobiliers détenus par le trust au 1er janvier de chaque année sans bénéfice des exonérations de droit commun prévues pour l'IFI. Les dispositions des conventions fiscales internationales en matière d'impôt sur la fortune ne sont pas applicables à ce prélèvement. Celui-ci doit être acquitté et liquidé par l'administrateur du trust, au plus tard le 15 juin de chaque année, au service des impôts des entreprises étrangères. Faute de déclaration, l'administration fiscale peut taxer d'office les constituants et les bénéficiaires personnes physiques solidairement débiteurs de ce prélèvement dont ils sont les redevables légaux.

1.B.2 Taxe annuelle de 3% sur les immeubles

Conditions d'application

Sont assujettis à la taxe annuelle de 3% les trusts propriétaires d'immeubles ou de droits immobiliers situés en France représentant plus de 50% des actifs français patrimoniaux détenus directement ou non par celui-ci. Les immeubles affectés à l'activité professionnelle d'une entité juridique avec laquelle elles ont un lien de dépendance ne sont pas inclus dans cette quote-part de 50%. Sont exonérés de cette taxe :

 

Modalités d'imposition

La taxe est acquittée chaque année avant le 16 mai et est liquidée sur la valeur vénale des biens et droits immobiliers imposables et possédés au 1er janvier de l'année concernée. Cette taxe doit être acquittée par l'administrateur du trust.

2. Obligations déclaratives

L'article 1649 AB du CGI oblige l'administrateur d'un trust étranger à accomplir, en France, deux séries de déclarations. Cette obligation s'applique lorsque :

La première déclaration porte sur la constitution, la modification ou l'extinction du trust ainsi qu'au contenu de ses termes. Elle doit être souscrite dans le mois qui suit l'évènement concerné.

La seconde déclaration a pour objet la valeur vénale, au 1er janvier de l'année, des biens et  droits immobiliers et de leurs produits capitalisés logés au sein d'un trust. Elle doit être souscrite le 15 juin de chaque année.

Le non-respect de ces obligations déclaratives est sanctionné par une amende de 20 000€ et les rappels d'impôt, résultant d'un défaut de déclaration, sont majorés d'une pénalité de 80% au titre des avoirs placés dans des trusts non-déclarés. Par ailleurs, le délai de reprise, en cas de manquement aux obligations déclaratives, expire au 31 décembre de la sixième année ou de la dixième année suivant que le trust est situé ou non dans un pays à fiscalité privilégiée.

Le même article 1649 AB prévoyait la constitution d'un registre public des trusts, sous l'égide de l'administration fiscale afin de recenser les trusts déclarés, les noms de l'administrateur, du ou des constituants et des bénéficiaires, ainsi que la date de constitution du trust. Toutefois, ce registre a été déclaré contraire à la Constitution[3].

 

A voir également dans nos actualités :

La création d'un registre public des trusts

Exonération de droits de mutation pour les dons et legs consentis à certains organismes européens (loi de finances rectificative pour 2014)

Trust loi de finances rectificative 2011(JO 30 juillet 2011)

 

[1] Conseil Constitutionnel QPC, 15-12-2017, n°2017-679

[2] Voir §2.obligations déclaratives

[3] Conseil Constitutionnel QPC, 21-10-2016, n°2016-591

Imposition en France des biens logés dans des trusts étrangers