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Délégation de pouvoirs ou de signature, une nécessité conférée par la loi aux dirigeants des sociétés commerciales

Publie le Mercredi 20/04/2011

Les personnes morales constituent des fictions qui ne peuvent exprimer leurs décisions que par l'intermédiaire des individus. En effet, l'expression de la volonté de la personne morale résultera de la signature du contrat par ses cocontractants (la société et le tiers).

Depuis la loi du 24 juillet 1966, les sociétés commerciales sont dotées par la loi d'un mode de représentation spécifique conférant des pouvoirs propres aux organes de gestion. A l'égard des tiers, le représentant légal représente et engage valablement la société dans la limite de l'objet social et parfois au delà, sans que les tiers aient à se soucier, ni du contenu de leurs pouvoirs, ni des conditions de leur nomination, sauf à pouvoir le révoquer en cas de faute de gestion.

Les délégations de pouvoirs et de signature

Toute entreprise qui atteint une certaine taille, et par là même une certaine complexité, doit être structurée en décentralisant les pouvoirs d'engager la société au sein d'une hiérarchie propre à celle-ci. Partant ainsi des organes de direction, et afin d'exécuter ses décisions, il convient de conférer des pouvoirs spécifiques non seulement aux titulaires de postes en relation avec les tiers, mais aussi à ceux en charge du fonctionnement interne de l'entreprise.

On constate en pratique que ces délégations de pouvoirs sont rarement faites par écrit (la délégation peut être prouvée en principe par tout mode probatoire) et que les salariés agissent en conséquence au nom de la société à raison de leurs seules fonctions. Deux arrêts de la chambre mixte de la Cour de cassation rendus le 19 novembre 2010 en matière de délégation de pouvoirs au sein d'une SAS, ont néanmoins précisé en particulier que la délégation de pouvoirs consentie par les représentants légaux de la société pouvait être tacite et résulter des fonctions du salarié, de sorte que les actes du mandataire peuvent être ratifiés a posteriori.

Lorsqu'un tiers agit pour le compte de la société ou d'un représentant légal sans avoir reçu de mandat exprès, en principe, la société est engagée sur le terrain de la théorie du mandat apparent, c'est-à-dire que le tiers est censé avoir reçu un pouvoir de la société. Il en serait de même d'un salarié qui outrepasserait ses fonctions, sauf à l'entreprise à se retourner contre le tiers ou le salarié qui aurait outrepassé ses fonctions et qui aurait causé un préjudice à la société.

Une jurisprudence très abondante a été rendue durant ces trente dernières années sur différents aspects des délégations de pouvoirs au sein des entreprises. Il ressort de cette jurisprudence, différents grands principes qui peuvent être résumés de la façon suivante.

1. La jurisprudence opère une distinction entre délégation de pouvoirs (1) et de signature (2).

(1) Le représentant légal confie dans ce cas au nom et pour le compte de la société, à une personne qu'il investit d'une fonction déterminée (direction administrative ou technique, direction d'une usine, d'une succursale ou d'un établissement secondaire, etc, le mandat de représenter la société dans la limite de ses attributions. Ainsi, le délégataire reçoit son pouvoir de la société elle-même et non du représentant légal, ce qui a pour conséquence que ses pouvoirs perdurent tout au long de l'exercice de ses fonctions, nonobstant tout changement dans la personne du mandant.

(2) Le représentant légal confie dans ce cas, pour son compte et en ses lieu et place, tel ou tel acte relevant de ses pouvoirs. Ainsi, le délégataire reçoit son pouvoir d'un individu et n'est pas représentant de la société, ce qui a pour conséquence que ses pouvoirs cessent en cas de cessation des fonctions du délégant.

2. La jurisprudence considère qu'une délégation de pouvoirs peut être consentie à un salarié ou à une personne extérieure à la société.

Cette délégation de pouvoirs peut résulter des statuts ou d'un mandat exprès consenti dans le contrat de travail ou dans le cadre d'une procuration donnée à cet effet. Elle ne peut porter que sur une partie des pouvoirs du délégant et ne peut avoir pour effet de les annihiler ou de les neutraliser en habilitant le tiers d'une mission générale de représentation de la société, au même titre qu'un dirigeant social. Elle doit être temporaire, à durée déterminée ou non. Dans ce dernier cas, elle est révocable à tout moment par le délégant. Toutefois, lorsqu'elle est consentie à un salarié dans le cadre de ses fonctions, le retrait de la délégation constitue une modification d'un élément substantiel de son contrat de travail qui est de nature à entraîner la nature de celui-ci.

3. Le transfert de la responsabilité pénale sur la tête du mandataire ne peut s'opérer qu'à certaines conditions.

La première tient à la qualité de la personne qui doit être nécessairement un salarié de la société et non un tiers. Il doit disposer de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires pour exercer les fonctions déléguées ainsi que de l'indépendance nécessaire pour prendre seul les décisions correspondant à ses fonctions.

La seconde tient à l'auteur de la délégation : il doit s'agir impérativement du dirigeant lui-même.

La troisième tient à l'acceptation expresse de la délégation par le mandataire, à défaut de validité de celle-ci.

La quatrième tient au caractère certain et précis de la délégation. Elle peut être consentie dans le contrat de travail ou sur un document écrit.

4. Le transfert de la responsabilité fiscale sur la tête du mandataire ne peut s'opérer également qu'à certaines conditions.

Pour que celle-ci soit efficace, il est nécessaire que le dirigeant ait délégué l'ensemble de ses pouvoirs en la matière au mandataire et qu'il s'abstienne d'intervenir dans les affaires fiscales de la société.

Cette jurisprudence rendue en matière de délégation de pouvoirs suffit à illustrer le mode de fonctionnement des entreprises où l'on agit sans maîtriser les risques, ce qui laisse la porte ouverte à des contentieux longs et incertains.

Les décisions précitées rendues par la Cour de cassation le 19 novembre 2010 à propos d'un licenciement effectué par un directeur des ressources humaines qui n'avait pas reçu de délégation de pouvoirs expresse à cet effet, sont le fruit d'un procès long et coûteux non seulement pour les parties mais aussi pour les contribuables car il a fallu réunir trois chambres de la Cour de cassation pour résoudre une divergence au sein de celle-ci.

Mise en place de procédure de délégation de pouvoirs ou de signature dans une entreprise par un notaire

Première étape : mise en place d'une hiérarchie au sein de l'entreprise

Le dirigeant devra élaborer un organigramme de synthèse faisant apparaître l'ensemble des salariés ou tiers à habiliter pour représenter la société dans le cadre de leur fonction ou d'une délégation expresse de pouvoir tout en définissant le contenu de leur pouvoir.

Deuxième étape : nature et portée des délégations

Le dirigeant devra également réfléchir à la nature de la délégation (délégation de pouvoirs ou de signature) avec ou sans transfert de responsabilité pénale ou fiscale au profit du mandataire.

Troisième étape : mise à jour des contrats de travail et de délégations de pouvoir expresses par un notaire

Si le dirigeant de l'entreprise ne veut pas recourir à des délégations de pouvoir expresses, il devra mettre à jour, si nécessaire, les contrats de travail des salariés qui représentent la société à l'égard des tiers. En effet, il faudra définir dans ceux-ci, quels actes chaque salarié est habilité à signer pour représenter la société à l'égard des tiers (exemple : le salarié est habilité à représenter la société pour l'ensemble des actes liés à sa fonction, éventuellement à l'exception des actes suivants ...).

Pour les délégations les plus délicates, notamment celles en matière pénale, sociale et fiscale, il est recommandé d'établir des délégations expresses de pouvoir respectant les conditions de fond édictées par la jurisprudence de la cour suprême. Ces délégations devront être consenties par acte authentique afin de leur donner date certaine, les revêtir d'un caractère incontestable et en vue d'en assurer la conservation sans avoir à en justifier par la production d'un original à chaque signature.

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