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Les difficultés d'un bail à construction sur le domaine public de l'Etat

Publie le Mercredi 31/08/2016

Dans un arrêt  du Conseil d'Etat en date du  11 mai 2016 (CE, section du contentieux 11/05/2016, n°390118), le Conseil d'État expose les limites de la conclusion d'un bail à construction sur le domaine public de l'Etat en rappelant que celui-ci doit respecter les règles particulières propres aux autorisations d'occupation temporaire du domaine public de l'Etat constitutives de droits réels et aux conventions de toute nature, ayant pour effet d'autoriser l'occupation du domaine public de l'Etat de nature à garantir son utilisation, conformément à l'affectation au service public concerné.

La communauté urbaine Marseille-Provence Métropole a décidé d'attribuer une délégation de service public du traitement des déchets ménagers par incinération dont elle assurait la gestion, à un opérateur qui avait été autorisé à conclure avec le Port Autonome de Marseille, un bail à construction portant sur l'édification d'installations de traitement de déchets sur un terrain du domaine privé du port autonome de Marseille, établissement public de l'Etat. De sorte que le terrain sur lequel a été édifiée l'usine de traitement de déchets  est entré dans le domaine public du port autonome de Marseille dès la conclusion du bail à construction, soit le 21 mars 2005.

Afin de réaliser ce projet, les délibérations nécessaires ont été adoptées par le conseil de la communauté urbaine, qui furent contestées par des associations, à savoir :

-   par une délibération du 20 décembre 2003, le conseil de la communauté urbaine  a approuvé le principe de recourir à la gestion déléguée  du service public de traitement des déchets par incinération et les principales caractéristiques de la future délégation de service public  ainsi que  l'emplacement des futures installations sur un terrain appartenant au Port Autonome de Marseille (PAM) ;

-   par une  délibération du 9 juillet 2004, le même conseil a approuvé la signature d'une convention avec le Port autonome de Marseille, qualifiée de « bail à construction », ayant pour objet l'édification, sur un terrain appartenant au port autonome, d'installations de traitement des déchets par incinération, avec possibilité de cession temporaire de la convention au futur délégataire de service public. Cette convention a été signée le 21 mars 2005 ;

-   par d'une  délibération du 13 mai 2005, le même conseil a :

  • approuvé le choix du délégataire du service public,  ainsi que la cession de la convention précitée au profit de la société à créer du chef des entreprises délégataires,

  • autorisé le président de la communauté urbaine à signer le contrat de cession et ses annexes, 

  • accepté la cession de la créance consentie par le délégataire à un organisme de crédit-bail.


Le tribunal administratif de Marseille, par jugement du 18 juin 2008,  a annulé la délibération du 13 mai 2005, faute pour les conseillers communautaires d'avoir reçu une information suffisante avant le vote. Par conséquent, le conseil de la communauté urbaine a repris le contenu de la délibération précitée annulée pour pallier le vice de procédure dans une délibération n° AGER 001 du 19 février 2009. Par délibération du même jour, le même conseil a approuvé les orientions sur l'évolution du projet (délibération n° AGER 0002).


Par un jugement du 4 juillet 2014, le Tribunal administratif de Marseille a prononcé l'annulation des deux délibérations du 19 février 2009 aux motifs que « le terrain d'assiette de l'opération envisagée appartenait au domaine public » et que « les stipulations du bail à construction, qui impliquent la constitution de droit réel sur le domaine public, sont illégales en l'absence de disposition législative autorisant la constitution de tels droits ». Saisie par le conseil de la communauté urbaine, la Cour administrative d'appel de Marseille a censuré ce jugement dans un arrêt du 12 mars 2015 en tant qu'il avait annulé la délibération AGER 001 mais a néanmoins annulé celle-ci au motif que le terrain donné à bail à construction était entré dans le domaine public du port autonome de Marseille dès le 21 mars 2005, et dès lors que les dispositions du Code du domaine de l'Etat n'autorisait pas la conclusion d'un bail à construction sur le domaine public, l'acte de cession du bail était illégal, de sorte que cette illégalité entrainait l'annulation de cette délibération.


La communauté urbaine a en conséquence formé un recours devant le Conseil d'Etat. Ce dernier va censurer la décision d'appel en rappelant qu'un bail à construction confère au preneur un droit réel immobilier tout comme une autorisation d'occupation temporaire du domaine public de l'Etat. En particulier, il relève que le titulaire d'une telle autorisation porte non seulement sur les constructions à réaliser mais aussi sur le terrain d'assiette de celles-ci. Par conséquent, il n'était pas possible de considérer que le bail à construction était incompatible avec les règles de gestion du domaine public au seul motif qu'il confère au preneur des droits réels sur le sol au-delà des seules constructions. Autrement dit, le Conseil d'Etat reconnait la validité de principe d'un bail à construction sur le domaine public de l'Etat, sous les réserves qui suivent.


En effet, le Conseil d'Etat poursuit son raisonnement en rappelant que le bien donné à bail était soumis aux principes de la domanialité publique dans la mesure où ce bien était affecté à un service public et qu'un aménagement était nécessaire pour son exploitation. Par conséquent, la constitution de droits réels sur le domaine public de l'Etat nécessite une autorisation temporaire d'occupation sous réserve qu'elle respecte les dispositions propres à celle-ci. Or, le bail à construction conclut le 21 mars 2005 contenait des clauses incompatibles avec celle-ci. En particulier, la cession du bail à construction sans autorisation du bailleur violait les dispositions de l'article L34-2 du Code du domaine de l‘Etat repris à l'article L2122-7 du Code général de la propriété des personnes publiques, qui soumettent à l'agrément de l'autorité compétente la cession de l'autorisation à un tiers. De même, en prévoyant la constitution de servitudes passives indispensables à la réalisation des ouvrages, le bail à construction violait la prohibition de constitution de servitudes sur le domaine public, alors en vigueur. En autorisant la constitution de sûretés réelles sans préciser qu'elles pouvaient seulement garantir les emprunts nécessaires à la réalisation des constructions autorisées, le bail à construction violait les dispositions de l'article L34-2 précité reprises à l'article L2122-8 du Code du domaine de l'Etat. Il en était de même de l'autorisation de financement des ouvrages par un crédit bailleur immobilier alors que l'article L34-7 du Code du domaine de l'Etat, dans sa rédaction alors en vigueur, interdisait la conclusion de tels financements.


Par conséquent, le bail à construction ne comportait pas toutes les clauses requises par les dispositions du Code du domaine de l'Etat et reprises par le Code général de la propriété des personnes publiques, propres aux autorisations d'occupation temporaires du domaine public de l'Etat et aux conventions d'occupation de celui-ci, de nature à garantir son utilisation, conformément à l'affectation au service public concerné, d'une part et contenaient des clauses incompatibles avec le droit du domaine public de l'Etat dans sa version alors en vigueur au 21 mars 2005, d'autre part. De sorte que l'acte de cession du bail à construction était illégal. Mais le Conseil d'Etat précise la possibilité de régulariser le bail à construction en le mettant en conformité avec les dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques dans sa version actuellement en vigueur. L'illégalité ainsi constatée du bail à construction a eu pour effet d'entrainer l'annulation de la délibération AGER n° 1.


Pendant longtemps, le principe d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité du domaine public des personnes morales de droit public, posé aujourd'hui à l'article 3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, fait obstacle à la constitution de droits réels sur le domaine public.


Le législateur a créé en particulier, deux outils majeurs permettant la constitution de droits réels sur le domaine public :

le bail emphytéotique administratif sur les biens des collectivités territoriales,  institué par la loi numéro 88-13  du 5 janvier 1988 codifiée aux articles L 1311-2 et suivants du Code général des collectivités territoriales;


- l'autorisation de l'occupation du domaine public de l'Etat instituée par la  loi 94-631 du 25 juillet 1994 dont le principe figure actuellement à l'article L 2122-6 du Code Général de la propriété des personnes publiques.


Cet arrêt du Conseil d'Etat vient affiner le principe selon lequel les personnes morales de droit public sont autorisées à consentir des droits réels sur le domaine public que si et dans la mesure où le législateur les y autorise conformément au principe dégagé par la jurisprudence du Conseil d'Etat (arrêt du 6 mai 1985 n° 41589 et n° 41699, Association Eurolat et Crédit Foncier de France). En effet, le Conseil d'Etat permet l'utilisation au cas d'espèce d'un outil de droit privé sur le domaine public de l'Etat : le bail à construction, sous réserve qu'il fasse l'objet d'aménagements pour être compatible avec le cadre juridique de l'autorisation temporaire du domaine public de l'Etat  qui a été défini par le législateur, en stipulant des clauses exorbitantes au droit commun conférant ainsi au bail à construction la nature d'un contrat de droit administratif.


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