Les vices du consentement depuis la réforme du droit des obligations du 10 février 2016

La réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations du 10 février 2016 a réécrit les dispositions qui régissent les vices du consentement dans un contrat. Parmi ceux-ci, nous allons présenter l’erreur et le dol et les conditions de leur mise en œuvre qui ont été mises à jour pour tenir compte des évolutions jurisprudentielles depuis 1804. 

Les rédacteurs du Code civil avaient posé les principes qui ont contribué à la création de la théorie des vices du consentement à l’article 1109 ancien du Code civil, selon lesquels : « il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol ».

La réforme de 2016 a réécrit cet article pour consacrer dans la loi, les principes posés par la jurisprudence, en particulier s’agissant du caractère déterminant de chacun de ces vices pour emporter le consentement de la partie concernée dans la conclusion du contrat.

Ainsi, le nouvel article 1130 du Code civil énonce : « l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. 

Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné ».

Nous examinerons successivement le régime de l’erreur (A), puis, celui du dol(B).

A. L'erreur

L’erreur est un décalage entre la réalité et la représentation que l’on se fait de celle-ci.

Les articles 1132 à 1136 nouveaux du code délimitent les contours de l’erreur qui doit présenter certains caractères pour vicier le contrat.

Ainsi, l’erreur doit porter sur les qualités essentielles de la prestation due (1) ou, pour certains contrats sur celles du cocontractant (2). Elle doit être déterminante du consentement (3) et être excusable (4).

1) L'erreur sur les qualités essentielles de la chose

Antérieurement à la réforme, l’erreur devait porter sur les qualités substantielles de la chose objet du contrat. Deux conceptions se sont affrontées sur cette notion.

Dans une conception in abstracto (objective), l’erreur sur les qualités substantielles porte sur les caractéristiques intrinsèques et objectives de la chose, c’est-à-dire celles qu’un cocontractant raisonnable aurait jugé essentielles. Ulpien disait : «  Si oes pro auro veneat non valet », ce qui signifie que le contrat portant sur un objet que l’on croit être en or et qui se révèle d’un autre métal, n’est pas valable.

Dans une conception in concreto (subjective), il convient de s’intéresser à ce qui a vraiment déterminé le consentement d’une partie, indépendamment de l’opinion commune. Par exemple, le contractant achète un meuble parce qu’il aurait appartenu à un acteur célèbre.

Jusqu’à la réforme de 2016, la jurisprudence s’est ralliée à la conception objective de l’erreur. Un arrêt rendu par la chambre civile de la Cour de Cassation le 28 janvier 1913 affirme que « l'erreur doit être considérée comme portant sur la substance même de la chose lorsqu'elle est de telle nature que sans elle la partie n'aurait pas contracté ». La jurisprudence refusait d’annuler les contrats lorsque l’erreur portait sur une qualité qui n’était jugée essentielle que pour un seul des cocontractants, à l’insu de l’autre contractant. Ainsi, lorsque l’erreur porte sur une qualité subjectivement essentielle, celle-ci doit être impérativement contractualisée par les parties dans l’acte, ou à défaut, être tacitement convenue entre elles.

Cependant, la jurisprudence fait une application très large de l’erreur sur la substance de la chose en prenant en compte tantôt sa matière, tantôt la qualité de l’objet vendu (par exemple, son authenticité), tantôt l’aptitude de la chose à remplir l’usage auquel celui qui s’est trompé la destinait (terrain destiné à la construction, inconstructible en réalité). Par contre, n’ont pas été pris en compte comme qualités substantielles : les dimensions d’un tableau, l’existence d’un nouveau règlement de copropriété qui ne modifie pas substantiellement les conditions du bien objet du contrat.

La réforme a supprimé la notion équivoque de substance de la chose en faisant désormais référence aux qualités essentielles de la prestation. Ainsi, l’article 1133 nouveau du Code civil énonce : « les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté ».

La réforme a, par ailleurs, codifié à l’article 1136 du Code civil, le principe selon lequel l’erreur sur la valeur de la chose, c’est-à-dire une appréciation économique inexacte,  n’est pas admissible pour invoquer la nullité du contrat. C’est ainsi que l’appréciation erronée de la rentabilité économique d’une opération immobilière ne constitue pas une erreur sur les qualités essentielles car elle s’apparente à une erreur sur la valeur.

Toutefois, l’erreur sur la valeur est indirectement prise en compte dès lors que celle-ci résulte d’une erreur sur les qualités essentielles de la chose ou lorsqu’elle a été provoquée par dol. Il faudra donc ici démontrer que les conditions de l’erreur sur les qualités essentielles ou du dol sont réunies pour pouvoir faire annuler le contrat.
Par ailleurs, l’article 1168 du Code civil est venu rappeler, que par exception, l’erreur sur la valeur (appelée dans ce cas lésion) est une cause de nullité (appelée alors rescision) dans les contrats de vente d’immeuble lorsque la différence entre la valeur de l’immeuble et le prix de vente représente plus de 7/12 de la valeur de l’immeuble. Il en est de même des contrats conclus avec des mineurs ou des majeurs protégés lorsqu’ils leur sont préjudiciables.
Indépendamment de la lésion, dans les contrats à titre onéreux, lorsque la contrepartie reçue n’existe pas ou est dérisoire par rapport à la contrepartie conférée, cette dernière est dépourvue de cause, de sorte que le contrat est sanctionné de nullité sur le fondement de la cause (ancien article 1131 du Code civil dont le principe a été repris par l’actuel article 1169 du Code civil). Autrement dit, une extrême disproportion entre la valeur de la prestation, du bien vendu ou loué et le prix demandé, permet de demander l’annulation du contrat.

Exemple : Dans un contrat de vente d’immeuble, l’acquéreur peut demander la nullité du contrat de vente, si le prix de vente est hors de toute proportion avec la valeur réelle du bien compte tenu de son très mauvais état (C.cass., civ.3, 14 février 2019, n° 17-30.942).

L’article 1135 du Code civil a expressément exclu l’erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due au cocontractant, sauf si les parties en ont fait un élément déterminant de la conclusion du contrat. Par exemple, la conclusion d’un contrat de vente en considération des qualités personnelles de l’un des cocontractants qui s’avèreraient inexactes a posteriori ne pourront pas fonder une action en nullité. Il en est de même de l’acquisition d’un objet destiné à un emplacement dans lequel il n’est pas adapté ou d’une erreur sur la fiscalité afférente à une transaction.

Il en résulte que les mobiles déterminants du consentement des parties doivent donc être contractualisés en amont, pour pouvoir être invoqués en tant que cause de nullité pour erreur ultérieurement.

L’alinéa 2 de l’article 1135 du Code civil réserve toutefois une exception lorsque l’erreur porte sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son auteur n’aurait pas disposé. Dans ce cas spécifique, l’erreur sur les motifs est admise.

2) L'erreur sur les qualités essentielles du cocontractant

Le législateur en 1804 avait considéré que l’erreur sur la personne ne pouvait être retenue que si sa considération était essentielle à la conclusion du contrat. Autrement dit, seuls étaient visés les contrats conclus intuitu personae (ex : donation , mandat). L’article 1134 nouveau du Code civil reprend ce principe.

L’erreur sur la personne peut être comprise comme l’erreur sur l’identité physique ou civile de la personne cocontractante, même si une telle hypothèse est assez rare. En réalité, il s’agira essentiellement d’une erreur qui a été déterminante sur les qualités attendues de la personne cocontractante. Par exemple, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 13 avril 1972 (n°70-12.774), avait annulé un compromis d’arbitrage au motif que l'une des parties à celui-ci ignorait, avant sa signature, que l'arbitre proposé par son cocontractant avait rédigé, antérieurement à sa désignation, une consultation juridique favorable à la thèse de ce dernier. L’erreur portait en réalité sur l’absence d’indépendance d’esprit, qui était déterminante au consentement de la partie qui avait accepté l’arbitre proposé.

3) L'erreur déterminante du consentement

L’article 1130 du Code civil pose comme condition primordiale pour chacun des vices du consentement, qu’il soit déterminant pour le consentement de la partie cocontractante. Autrement dit, l’erreur doit porter sur une qualité essentielle de la chose qui a emporté le consentement du cocontractant dans la conclusion du contrat. Ce qui explique que sans cette erreur, ce dernier n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.

4) L'erreur excusable

L’article 1132 du Code civil consacre la jurisprudence en introduisant la notion d’erreur excusable comme condition préalable à l’appréciation de l’erreur pour fonder l’action en nullité du contrat. Ainsi, le cocontractant doit s’informer sur la qualité essentielle attendue en prenant les précautions élémentaires. On constate que la jurisprudence maintient l’obligation pour le cocontractant de s’informer en fonction des circonstances de l’opération. Mais elle se livre à une appréciation in concreto dans chaque cas d’espèce. En principe, il ne s’agit pas de diligence approfondie, seule la négligence dans la recherche de l’information étant prise en compte en fonction des circonstances, de l’âge, de l’expérience et de la profession de la partie intéressée.

B. Le dol

Le dol, quant à lui, est régi par les articles 1137 à 1139 nouveaux du Code civil. Il désigne toutes les tromperies utilisées par une partie à l’encontre de son cocontractant conduisant ce dernier à donner son consentement au contrat alors que sans ces manœuvres, mensonges ou dissimulations intentionnelles, il n’aurait pas consenti à celui-ci. Ainsi le dol provoque chez le cocontractant une erreur qui le conduit à contracter.

Pour être caractérisé, le dol suppose la réunion d’un élément matériel (1) et d’un élément intentionnel (2). Il doit émaner en principe du cocontractant (3) et être déterminant du consentement (4). Enfin, l’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable (5).

1) L'élément matériel

Constituent des manœuvres, toutes mises en scène qui travestissent la réalité que le contractant va employer pour obtenir, voire forcer, le consentement de son partenaire et l’amener à contracter.

La jurisprudence considère que le simple mensonge (allégation que son auteur sait pertinemment erronée) constitue un dol, alors qu’au plan pénal, il ne suffit pas à lui seul à caractériser le délit d’escroquerie. Cependant, en matière commerciale et de publicité, l’exagération des qualités d’une chose n’est pas constitutive d’un dol, si elle ne dépasse pas ce qui est habituel dans les pratiques commerciales (dolus bonus). Mais le champ du dolus bonus est de plus en plus restreint par le droit de la consommation qui sanctionne la publicité mensongère (art. L121-1 du C.cons.)

Depuis une décision rendue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 15 janvier 1971 (n°69-12.180), la réticence dolosive constitue un dol. Il s’agit du silence gardé par un cocontractant dissimulant une information déterminante du consentement de l’autre partie. Encore faut-il que l’auteur du prétendu dol ait été débiteur d’une obligation d’information. Ainsi a-t-il été jugé dans le célèbre arrêt dit « Baldus » rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 3 mai 2000 (n° 98-11.381), que l’acheteur de photographies n’a aucune obligation d’informer la venderesse de leur véritable valeur. Cette jurisprudence a été étendue à l’acheteur professionnel, qui n’est pas tenu d’informer le vendeur particulier de la valeur véritable de la chose vendue (C.cass., civ. 3, 17 janvier 2007, n° 06-10.442). Cependant, la jurisprudence estimait, dans certaines circonstances, que l’obligation d’information, relève du devoir de bonne foi désormais codifié à l’article 1104 du Code civil. Ainsi, relevait-il de la bonne foi, le fait d’informer l’acquéreur, dans une vente d’immeuble, de la présence d’amiante dans celui-ci, avant même l’entrée en vigueur du décret d’application de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 dite « SRU » créant une obligation d’information à la charge du vendeur en la matière (C.cass., civ .3 , 16 mars 2011, n° 10-10.503). L’article 1112-1 du Code civil est venu généraliser cette tendance jurisprudentielle en créant une obligation précontractuelle d’information dès lors que celle-ci est déterminante du consentement de l’autre partie qui ignore légitimement cette information ou fait confiance à son cocontractant. Cet article vient préciser qu’il n’existe pas une telle obligation si l’information porte sur la valeur de la prestation.

L’article 1137, alinéa 2 du Code civil consacre les solutions jurisprudentielles rendue en matière de réticence dolosive, par la notion de dissimulation intentionnelle d’une information par une partie qu’elle sait déterminante du consentement de l’autre partie. L’article 1137, alinéa 3, vient entériner la jurisprudence « Baldus » en précisant que « ne constitue pas un dol, le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ».

2) L'élément intentionnel

La caractérisation du dol repose sur une véritable intention de tromper. Le dol est ainsi constitué en cas de manœuvres ou de mensonges, y compris par omission, qui induisent naturellement le cocontractant en erreur. Le dol de bonne foi n’existe pas, de sorte qu’une simple déclaration erronée ne constitue pas un dol, si elle n’est pas accompagnée d’une intention de tromper (C.cass., civ. 1, 11 décembre 2013, n° 12-28.432).

En cas de réticence dolosive, l’élément intentionnel doit être prouvé, faute de quoi il ne s’agira que d’un manquement à une obligation d’information, qui peut être sanctionnée par des dommages et intérêts au titre de l’article 1112-1 du Code civil.

3) L'élément personnel

Le dol doit émaner du cocontractant. Il n’y a donc point de dol si le cocontractant se trompe lui-même. L’article 1138 du Code civil précise que le dol est également constitué s’il émane du représentant, gérant d’affaires, préposé ou porte-fort du cocontractant.

Si le dol émane d’un tiers, celui-ci n’est pas caractérisé, sauf en cas de collusion frauduleuse (Req., 20 mars 1883), ou en matière de libéralités (C.cass., civ. 1, 30 octobre 1985, n° 84-15.922).

4) Le dol déterminant du consentement

Enfin, comme pour les autres vices du consentement, et en vertu de l’article 1130 du Code civil, le dol doit être déterminant du consentement de l’autre partie pour être sanctionné dans les mêmes conditions que celles propres à l’erreur. Rappelons que l’appréciation du caractère déterminant du dol est subjective, c’est-à-dire qu’il est tenu compte de la personnalité de la victime du dol.  

Le dol, comme l’erreur, est sanctionné par la nullité relative du contrat. La preuve du dol, comme de l’erreur, est à la charge de la partie qui prétend que son consentement a été vicié. S’agissant de la preuve de faits juridiques, elle peut être rapportée par tous moyens.

Cependant, à la différence de l’erreur,  le dol constitue non seulement une cause de nullité du contrat mais aussi une faute délictuelle qui peut être sanctionnée en tant que telle par des dommages-intérêts dans le cadre d’une action en responsabilité civile délictuelle.

Cette action en responsabilité civile délictuelle sur le fondement du dol peut être exercée :

  • soit en lieu et place de l’action en nullité aux fins de réparer l’entier préjudice. Dans ce cas, la victime du dol peut demander une réduction de prix via des dommages et intérêts. Le préjudice consiste alors dans la perte de chance de contracter à des conditions plus avantageuses avec le même cocontractant, et non pas de pouvoir contracter à de meilleures conditions  avec un tiers ( C.cass.,com. 10 juillet 2012, n° 11-21.954) ;
  • soit parallèlement à l’action en nullité pour réparer le préjudice subsistant à l’annulation du contrat (préjudice moral, impossibilité de relogement, frais de vente, commission de l’agence immobilière).

5) L'erreur provoquée par un dol est toujours excusable

Contrairement à l’erreur pure et simple, l’auteur du dol ne pourra pas invoquer le caractère inexcusable de l’erreur qu’il a provoquée. L’article 1139 du Code civil a consacré ce principe jurisprudentiel.

Par ailleurs, l’erreur provoquée par dol n’a pas à porter sur une qualité essentielle de la prestation, de sorte qu’elle peut porter sur la valeur de la prestation (sauf en cas de réticence dolosive) ou sur un simple motif du contrat, ainsi que le consacre également l’article 1139 précité.

Voir également dans nos études : 

Le devoir réciproque d'information des parties à un contrat consacré dans le Code civil depuis 2016
Les différents avants-contrats et leur portée juridique 

Voir également dans nos actualités : 

Le franchiseur peut s'affranchir de son obligation d'information précontractuelle en présence d'un cocontractant expérimenté

Les vices de consentement dans un contrat : l'erreur et le dol